Longtemps considérée comme une technologie futuriste associée aux cryptomonnaies, la blockchain fait désormais son entrée dans des secteurs aussi stratégiques que la santé. Entre promesse de sécurité, automatisation des remboursements et lutte contre la fraude, cette technologie pourrait-elle transformer les paiements médicaux tels que nous les connaissons ? Ou n’est-elle qu’un mirage technologique de plus ?

Chez MY HEALTHY, nous suivons de près l’évolution des nouveaux modèles de financement des soins. Cet article propose un tour d’horizon clair des cas d’usage réels de la blockchain dans le secteur santé, pour mieux comprendre ce qui relève du fantasme… et ce qui pourrait vraiment changer.

Comprendre la blockchain en quelques mots

La blockchain est une technologie de registre distribué, c’est-à-dire une base de données partagée entre plusieurs participants, dans laquelle chaque transaction est horodatée, chiffrée et enregistrée de manière infalsifiable. Ce système décentralisé permet de garantir l’intégrité et la transparence des échanges, sans tiers de confiance centralisé.

Dans le secteur de la santé, ses applications sont multiples : traçabilité des actes médicaux, sécurisation des données patients, gestion des identités… mais aussi, et c’est notre sujet ici, paiement automatisé et sécurisé des soins.

Des cas d’usages concrets dans la santé

Si la France reste encore en phase exploratoire, plusieurs pays ont déjà lancé des projets pilotes concrets. Voici quelques exemples notables.

Solve.Care – Une plateforme de coordination des soins (Ukraine / international)

Le projet Solve.Care (renommé TUUMIO) a mis en place une plateforme décentralisée destinée à connecter patients, professionnels de santé, assureurs et prestataires à travers un système de “Care.Cards”. Chaque carte correspond à une action automatisable : prise de rendez-vous, autorisation d’un soin, déclenchement d’un paiement. Une fois les conditions remplies (consultation réalisée, acte facturé, etc.), le paiement est exécuté automatiquement via un smart contract. Ce système réduit les délais de traitement et les erreurs administratives.

MediLedger – Lutte contre la fraude et les paiements abusifs (États-Unis)

Le projet MediLedger est une initiative regroupant des géants pharmaceutiques (Pfizer, Genentech, etc.) pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement et lutter contre la contrefaçon de médicaments. Une extension de ce projet teste l’utilisation de la blockchain pour limiter la fraude dans les paiements santé en vérifiant la légitimité des demandes de remboursement et en automatisant les flux entre payeurs et prestataires.

Estonie – Traçabilité des données de santé

Pionnière du numérique, l’Estonie a déployé dès 2012 une infrastructure nationale de données de santé sécurisée par la blockchain. Chaque consultation, prescription ou intervention laisse une trace infalsifiable, consultable uniquement par les parties autorisées. Bien que centrée sur les données, cette architecture prépare le terrain pour des paiements automatisés et vérifiables.

Quels bénéfices concrets pour les paiements en santé ?

À travers ces exemples, plusieurs avantages opérationnels de la blockchain pour les paiements médicaux se dessinent :

  • Réduction des délais de remboursement : les paiements peuvent être exécutés automatiquement dès qu’un acte est validé.
  • Diminution des erreurs et litiges : chaque transaction est traçable, ce qui évite les conflits entre prestataires et payeurs.
  • Lutte contre la fraude : en enregistrant les actes médicaux dans un registre sécurisé, il devient impossible de simuler des soins fictifs ou de multiplier les facturations frauduleuses.
  • Automatisation des flux : les smart contracts permettent de déclencher des paiements selon des règles prédéfinies (ex. : après validation d’un acte, vérification d’une cotisation à jour, etc.).
  • Transparence pour toutes les parties : professionnels, patients, mutuelles et institutions peuvent suivre le statut des paiements en temps réel.

Et en France, où en est-on ?

En France, plusieurs initiatives exploratoires sont en cours, mais aucune n’a encore franchi le cap du déploiement à grande échelle :

  • Embleema : projet basé sur la blockchain pour permettre aux patients de contrôler et de monétiser leurs données de santé, avec une application potentielle sur les remboursements personnalisés à l’avenir.
  • Assureurs et mutuelles : certains acteurs étudient la possibilité d’utiliser des contrats intelligents pour gérer les prises en charge, mais les expérimentations restent à l’état de test.

Les défis sont nombreux pour espérer un déploiement à grande échelle de la blockchain dans le paiement des soins :

  • Interopérabilité avec les systèmes existants : les solutions blockchain doivent pouvoir dialoguer avec les infrastructures en place comme SESAM-Vitale (le système national de télétransmission des feuilles de soins), le Dossier Médical Partagé (DMP) ou encore les logiciels métiers des professionnels de santé. Cette compatibilité technique est indispensable pour éviter les doublons, les ruptures de parcours ou les ressaisies d’information.
  • Conformité au RGPD : la blockchain, par nature, conserve de manière infalsifiable des données, ce qui entre parfois en contradiction avec des droits fondamentaux prévus par le Règlement Général sur la Protection des Données, comme le droit à l’oubli. Il est donc nécessaire d’adopter des solutions hybrides ou de définir des standards techniques spécifiques à la santé pour rester dans le cadre légal.
  • Acceptation par les professionnels de santé : l’adoption de nouvelles technologies dépend aussi de leur facilité d’intégration dans le quotidien des praticiens. Or, une solution blockchain trop complexe, peu documentée ou sans valeur ajoutée immédiate risque d’être rejetée, comme l’ont montré d’autres réformes numériques passées.
  • Adhésion des patients : la notion même de blockchain reste floue pour beaucoup d’usagers. Il faudra donc faire preuve de pédagogie, de transparence et de garanties fortes en matière de confidentialité pour construire la confiance.
  • Capacité à passer à l’échelle : enfin, de nombreuses expérimentations blockchain restent cantonnées à des pilotes ou à des usages locaux. Passer du prototype au service national nécessite des investissements massifs, une coordination interministérielle et l’implication des caisses d’assurance maladie, des mutuelles et des ordres professionnels.

Des bases solides, mais une adoption encore lente

La blockchain offre de vraies perspectives pour réinventer les paiements médicaux : plus rapides, plus sûrs, moins coûteux. Mais ces avantages ne peuvent se concrétiser qu’à condition d’adapter les systèmes en place, de garantir la conformité réglementaire, et de former les acteurs du secteur.

Si les expérimentations à l’étranger montrent que la transformation est possible, l’adoption à grande échelle demandera encore du temps, en particulier dans des systèmes de santé aussi complexes et régulés que celui de la France.

Pour aller plus loin : La blockchain et la santé – ce qu’elle peut apporter (FNIM)